Acapella : Wim, merci d'avoir vu celle que je devenais
La première fois que Wim Hof est venu au Centre France, c'était le solstice d'été.
Quelques minutes avant le début de l'événement, un immense orage a éclaté. Comme si la nature elle-même annonçait que quelque chose allait basculer. Pour la première fois, je le voyais depuis l'autre côté du miroir - membre du staff et non plus participante. Un changement de perspective qui en cachait un bien plus grand.
Ce weekend-là s'est déroulé hors du temps. Des émotions brutes et des connexions qui se tissent dans l'intensité du moment. Et puis, quand tout s'est terminé, ce goût étrange dans la bouche : « c'est pas fini ». Sans savoir quoi, ni pourquoi, ni comment. Juste cette intuition viscérale que ce n'était qu'un début.
On pourrait imaginer le début de quelque chose de grandiose - une transformation spectaculaire, une révolution intérieure ou encore un impact massif. Mais non. C'était bien plus simple et bien plus profond à la fois :
Une première étape vers quelque chose que je ne pouvais pas encore nommer
Car au moment où Wim est arrivé avec cet orage inaugural, ma plus grande transformation était déjà en cours. J'avais pris la décision de lâcher ma vie en Suisse pour devenir nomade dès janvier. En juin, j'étais à un mois de ne plus avoir d'adresse fixe. Un mois. Trente jours avant le vide ou la liberté totale - selon comment on regarde.
L'euphorie de l'été et l'énergie de l'événement m'ont permis de mettre de côté mes deux démons personnels : la peur de l'inconnu et celle, plus sourde mais plus profonde, d'être oubliée. Paradoxalement, c'est exactement à ce moment-là que j'ai pris plus d'importance au Centre. Je devais revenir photographier plusieurs événements, je multipliais les présences et les implications. Comme si mon inconscient refusait de lâcher complètement cette vie que mon conscient avait déjà quittée.
Je tissais des liens et je créais des connexions à quelques mois du grand départ. Une frénésie relationnelle qui cachait mal son origine : qu'est-ce qui fait plus peur que d'être oubliée ? D'être remplacée, peut-être. D'être effacée de l'histoire qu'on a contribué à écrire.
Quand Wim est parti, la canicule battait son plein - une expansion sous canicule qui correspondait parfaitement à mon état intérieur. Cette énergie d'expansion pure ne m'a pas quittée de l'été. Expéditions d’été, séances photos jusqu'à épuisement, connexions qui se multiplient, idées qui fusent, projets qui s'empilent... Tout bouillonnait, tout vivait, tout s'amplifiait. J'étais partout, sur tous les fronts, comme si accumuler les expériences pouvait me protéger de l'oubli à venir.
Puis l'équinoxe d'automne est arrivé, et avec lui, le retour de Wim.
Le hasard n'existe pas dans ces synchronicités
Cette fois, la tempête n'a pas ouvert le weekend. Elle l'a fermé, comme une signature finale. Au début, nous avons eu un retour de chaleur inattendu alors que les températures commençaient déjà leur descente automnale. Un dernier sursaut d'été, comme si l'univers voulait nous rappeler l'énergie de juin, nous porter une dernière fois dans cette euphorie collective qui nous avait tous transformés.
Puis le dernier jour, le dernier après-midi précisément : la tempête. Et avec elle, le froid qui tombe d'un coup, brutal et définitif. La fin d'un cycle était marquée par les éléments eux-mêmes. Cette parenthèse d'expansion se refermait sous mes yeux.
C'est dans ce moment de clôture que j'ai compris quelque chose d'essentiel, quelque chose que mon agitation estivale avait masqué : je n'ai pas besoin de me rendre indispensable pour exister.
Cette révélation m'est venue doucement, portée par des regards, des mots et des silences. J'ai été vue. Ma simple présence, mon aura et mon énergie ont été reconnues. Pas parce que je courais partout. Pas parce que je prenais toutes les photos. Pas parce que je faisais du bruit. Juste parce que j'étais là, pleinement et authentiquement moi.
J'existe sans avoir besoin de faire, de prouver ou de justifier
Wim me l'a dit simplement, dans le bain chaud sous la pluie battante : « You love the freedom. » Quatre mots qui contenaient tout. Il avait tout compris sans me connaître ou peut-être justement parce qu'il ne me connaissait pas - il voyait l'essentiel sans le filtre de l'histoire. Cette liberté qu'il nommait, elle passe par des limites claires et par le refus de retomber dans des chaînes dorées tissées par la peur d'être oubliée.
Mais elle passe aussi par quelque chose de plus subtil, quelque chose qu'il a nommé d'un autre mot, lancé comme ça dans une conversation : « acapella ».
Dans le contexte de notre échange, ce mot prenait un sens particulier. Un acapella, c'est une voix qui porte sans accompagnement, une mélodie qui existe par elle-même, complète. Mais c'est aussi plusieurs voix qui s'harmonisent à distance, sans se toucher, sans partition commune, juste par la résonance naturelle de leurs fréquences. Wim parlait de cette capacité à créer des connexions qui transcendent la présence physique - un acapella à des milliers de kilomètres.
Cette parenthèse a créé mon acapella. Car maintenant je comprends : ces mois d'expansion n'étaient pas une fuite en avant, mais la création de ces harmonies invisibles qui me porteront dans mon voyage. « Loin des yeux, loin du cœur » n'est qu'une croyance pour ceux qui n'ont pas appris à chanter leur acapella.
Un dernier symbole est apparu ce weekend d'équinoxe, à nouveau dans les échanges avec Wim et l’équipe : le « snow lotus ». Il a parlé de cette fleur extraordinaire qui pousse dans les conditions les plus extrêmes de l'Himalaya, qui attend patiemment sous la neige, cultivant sa force dans le silence et le froid pour éclore au moment parfait.
Avec l'équinoxe d'automne, nous nous rapprochons de l'hiver, et je comprends maintenant que ce cycle qui s'achève n'était pas pour l'expansion immédiate, mais pour créer la résilience du snow lotus. Les mois qui viennent seront mon hiver - le nomadisme, la solitude choisie, l'inconnu assumé. Mais comme cette fleur des neiges, je porte en moi tout ce dont j'ai besoin pour éclore.
Peu importe les conditions. Peu importe les événements. Peu importe l'endroit.
Quand ce sera le moment, quand mon hiver personnel aura fait son œuvre, je serai prête.
Entre le solstice d'été et l'équinoxe d'automne, entre deux tempêtes, entre l'arrivée et le départ de Wim, s'est jouée ma transformation. Les orages n'étaient pas des obstacles mais des marqueurs, des seuils et des initiations. Entre les deux, cette parenthèse nécessaire pour apprendre à exister sans effort, à créer des liens qui survivront à la distance et à cultiver une résilience qui fleurira dans le froid.
Mon acapella est né. Les voix qui le composent résonneront où que j'aille. Le snow lotus en moi attend patiemment son heure.
Et quelque part, je sais que Wim avait raison depuis le début : j'aime la liberté. Mais maintenant, je sais aussi comment la porter.